Qui ne connaît pas encore Noémie De Lattre ?! Brillante, drôle, engagée, on ne se lasse pas de ses billets sur les réseaux si justes et pertinents qui forcent la prise de conscience (à voir en story sa fable géniale chez @fraiches). Actrice, autrice et bien plus encore, elle a imaginé un spectacle unique et essentiel « Féministe pour Homme » (prolongé jusqu’à la fin avril au Théâtre La Pépinière !) avec l’ambition de « revaloriser l’image du féminisme et montrer que c’est un engagement de l’humain pour lui-même, et non des femmes contre les hommes », évidemment on adore ! Son parcours, sa force et sa résilience nous inspirent et on a eu le grand bonheur de pouvoir échanger quelques mots avec cette femme extra qui montre le chemin d’un monde plus égalitaire!
Actrice, comédienne, humoriste, autrice, tout ça à la fois ? Est-ce la bonne façon de décrire votre métier ?
Tout à fait ! c’est très bien !
Pourquoi avez-vous choisi ce chemin ?
Pour le chemin artistique : Il a toujours été là depuis ma petite enfance, vraiment.
J’ai passé toutes les étapes à chaque âge pour que cette passion soit considérée sérieusement, notamment par mes parents.
Toute petite déjà ma mère m’a dit si à 7 ans, à l’âge de raison, tu veux encore faire ça, je te prendrai au sérieux. A 7 ans je voulais toujours faire ça.
Ensuite elle m’a dit si à 11 ans à l’entrée en 6ème tu veux toujours faire ça, je te prendrai au sérieux. C’était le cas ! A 11 ans je voulais toujours faire ça ! Alors elle m’a dit passe ton bac et après tu feras ce que tu veux !
J’ai fait ce que j’ai voulu et je n’ai même pas attendu le bac ! Puisque j’ai joué les premiers spectacles que j’avais écrit moi-même dès l’âge de 15 ans !
Ecriture, interprétation, mise en scène…. Tout ça a vraiment toujours été mon ambition, ma passion.
Concernant mon engagement : C’est arrivé très tard, je faisais partie des gens auxquels je m’adresse aujourd’hui finalement, j’avaient même une vision un peu caricaturale des féministes.
Je viens de très très loin sur ce sujet.
La prise de conscience s’est faite sur la durée, c’était pas du tout un « déclic ».
C’est venu à la radio, je devais faire des chroniques. Je réfléchissais à quoi faire, et Frédéric Lopez m’a dit « racontes ce qui te met en colère », c’est drôle et intéressant.
Et très vite je me suis rendue compte que tout ce qui me mettait en colère était lié à mon genre !
Après c’est allé assez vite dans la progression, et une fois qu’on met les lunettes et qu’on ouvre les yeux…. on voit tout et on ne peut plus accepter sans rien dire !
Aviez-vous des modèles (féminins ou pas !) quand vous étiez enfant ?
En fait ma mère qui ne se revendiquait pas du tout féministe était quelqu’un d’extrêmement viril (je dis bien « virile » et pas « masculine » !) au niveau de son métier, son allure, tout ! Les voitures qu’elle conduisait, les fringues qu’elle portait, le boulot qu’elle faisait, la manière dont elle s’adressait aux gens, ce qu’elle m’a transmis, tout ! C’était un bonhomme ma mère ! Et un bonhomme viril en plus !
Elle attendait un garçon, je devais m’appeler Arthur, elle était très déçue que je sois une fille !
Donc elle m’a habillée et coiffée comme un garçon pendant très longtemps.
Et moi j’étais obsédée par la féminité, la féminité outrancière parce que j’avais aucun modèle de ça nulle part. Et j’étais fascinée par les icônes ultra féminines comme Rita Hayworth ou Marylin Monroe. Très tôt j’ai porté des talons, je me suis maquillée, très tôt très sexy, très féminine. C’était mon obsession.
En revanche, mes centres d’intérêts ce qui a façonné ma pensée n’avait rien à voir. Je me suis très tôt intéressée à la philosophie comme Nietzsche ou Schopenhauer, mais je ne les ai jamais considérés comme des modèles.
Ils me passionnaient je les lisais, mais je ne m’identifiais pas du tout à eux.
Quels étaient vos jeux et activités préférées quand vous étiez enfant ?
J’étais très souvent seule et sans le droit de regarder la télévision … donc m’occupais toute seule et j’étais très créative.
Je recréais mes dessins animés préférés avec des boites d’œufs, je construisais des trucs, je custumizais des Barbies…
Chez nous, on avait pas vraiment le droit de s’ennuyer…. sinon c’était qu’on manquait de ressources.
Déjà, Je me déguisais, je faisais des spectacles …
Avez-vous senti à un moment dans votre parcours que le fait d’être une fille/femme a été un frein ou était tout simplement perçu comme original/atypique (notamment quand il s’agit d’humour) ?
Et si oui qu’avez-vous pensé à ce moment-là, qu’est-ce qui vous a fait avancer ?
Non, je n’ai jamais senti la surprise ou eu la sensation d’être perçue comme atypique ou originale.
Mais, j’ai toujours été créatrice ET interprète, et dans tous les groupes, les compagnies, dont j’ai fait partie, systématiquement on retenait uniquement de moi que j’étais actrice.
Et puis comme j’étais considérée comme plutôt jolie, ça paraissait évident de me percevoir comme actrice.
Le nombre de fois où on m’a dit « Ah ! c’est vrai que tu écris aussi ! » c’est fou !
Je me souviens d’un concours, « Made in Palmade » dans lequel on devait écrire des sketchs… et je gagnais quasiment 1 semaine sur 2, je gagnais pour des sketchs que j’avais écrits et à chaque fois le producteur me disais « Ah oui ! c’est vrai que tu écris toi ! »
C’était insensé !
J’étais toujours ramenée d’abord à mon statut d’actrice. A tel point que ça a déteint sur moi. C’est à dire que je me suis très vite assumée comme actrice, et j’ai mis des années, attendre de recevoir plusieurs prix, avant de pouvoir me dire « bon ok je suis aussi Autrice en fait !». J’ai mis énormément de temps à être reconnue et me sentir légitime pour cette part de mon métier.
Les autres moments où être une femme a fait une vraie différence et qui ont été difficile:
-Evidemment le côté harcèlement, qui est le quotidien des actrices en général
-Et ensuite c’est quand j’ai été discriminée quand j’ai eu mon enfant. Mais ce qui a été le plus violent c’est que l’intégralité de mon entourage à ce moment-là a pris parti contre moi. Parfois en pensant bien faire et me protéger … mais tout le monde m’a conseillée de me taire ou carrément m’a dit que j’avais abusé un peu ...
Pour moi c’est vraiment la colère que j’ai encore du mal à digérer.
À quoi ressemble une journée typique dans votre vie ?
À part certains moment de vacances assez rares, je ne m’arrête jamais, H24 7/7 sauf 6 semaines par an au mieux !
Je me réveille assez tôt pour amener mon fils à l’école.
Le matin je suis plus créative donc je le consacre à l’activité d’écriture et à toute les choses « à faire ». J’essaye d’être très efficace sur ce court moment.
Je suis totalement focus car le temps m’est compté !
L’après-midi je suis plutôt dans l’action, donc je les consacre à des RDV de travail, des répétitions, des tournages, des événements, des interviews, des rdv de productions …
Ensuite j’essaye de récupérer mon fils à l’école (ça fait une « pause » … !)
Et le soir je reprends encore une phase créative ou alors je sors pour jouer ou voir une pièce…
Ma journée de travail s’arrête au mieux à 20h et au pire minuit !
Qu’est-ce que vous aimez le plus et le moins dans votre métier ?
Le plus : choisir comment j’utilise mon temps. Les moments où je peux gérer mon temps créatif librement, sur une journée ou demi-journée, sont ceux que je préfère.
Le moins : quand je ne suis plus du tout maître de mon temps justement ! Je suis très entourée mais il reste encore pas mal de choses, de relances, de coup de fil dont je me passerai bien !
Quels conseils donneriez-vous aux enfants qui ont peur de l’échec ?
C’est rare d’avoir conscience qu’on a peur de l’échec.
Donc on a pas la réaction adaptée au problème.
Il y a une phrase que j’adore « j’ai décidé d’être moi-même parce que les autres étaient déjà pris » qui me porte beaucoup en fait chacun est lui-même dans sa propre vie et ne fait les choses que pour soi-même. Ce qui t’arrive comme tu le ressent n’appartient qu’à toi. La tristesse, la colère ou même l’amour des autres ne les concerne qu’eux. Ne te concerne pas. Même si tu es l’objet de ces émotions.
L’échec est relatif. Si tu comprends cette unicité, tu ne peux pas échouer.
Comment gardez-vous votre force et votre positivité face à tous ces défis ? Avez-vous une habitude, un rituel ?
Oui, c’est récent.
Tous les ans retraite ayurvédique en Inde.
Et toute l’année j’essaye de suivre ces préceptes le yoga, la méditation et de me former à des pensées sages. Je mets toutes les chances de mon côté. Je « travaille beaucoup » à être heureuse.
À votre avis, que pourrait-on faire, ou créer pour que les filles puissent être inspirées et grandir en pensant qu’elles peuvent tout faire ?
Changer radicalement de paradigme, changer totalement ce qu’on leur apprend à l’école comme à la maison…. Je le vois avec mon fils, je passe beaucoup de temps à juste déconstruire ce qu’il retient. On a un énorme chantier…
Quels conseils avez-vous pour les filles qui ont besoin de faire face aux obstacles et qui croient tout simplement qu’elles ne peuvent pas ?
C’est tellement compréhensible qu’elles ressentent ces limites en même temps tellement pas normal… je ne sais pas si un conseil peut suffir. C’est plutôt les parents, les personnes qui les entourent qui peuvent apporter quelque chose. S’il suffisait d’apporter un conseil, on aurait pas un vrai problème.
Et c’est quand même embêtant je trouve que ce soit aussi à nous, aux petites filles de porter cette responsabilité de « surmonter les obstacles », c’est le monde dans lequel on vit qui ne tourne pas comme il faut, c’est pas à elles de porter cette responsabilité.